La fierté des familles très pauvres… et ses mystères

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Photo © ATD Quart Monde, République Centrafricaine – mai 2015

René Bagunda Muhindo

République Démocratique du Congo

Étiquetées par la société, les familles très pauvres voient souvent leur fierté et leur honneur méconnus. Le regard de la société qui se limite souvent aux apparences extérieures n’arrive pas à percer le mystère caché dans leurs cœurs, dans leurs yeux, dans leurs gestes. Pourtant ces familles sont fières de ce qu’elles bâtissent, de ce qu’elles possèdent, de ce qu’elles vivent dans leur maison au quotidien.

Il y a un mois, lors d’un rassemblement d’enfants, un parent a rappelé : « c’était une excellente occasion de dire oui, nous bâtissons la fierté au sein de nos familles». Il faisait allusion à la journée de la famille célébrée à Bukavu le 28 mai 2017. De manière libre et égale, les participants ont partagé les expériences sur comment chacun essaie de bâtir la fierté au sein de sa famille malgré les difficultés de la vie.

Pour elles, la fierté de la famille c’est arriver à se parler, se comprendre, être fier de l’effort de chacun pour faire avancer l’ensemble.

Herman Muhamiriza: « Je suis très fier de ma famille car chaque soir nous faisons le point de la journée. Chacun (papa, maman et les enfants) dit aux autres comment il a passé sa journée… A la fin, nous décidons ensemble de comment sera utilisé l’argent gagné. Cette manière de faire permet à chacun de nous de se reconnaître membre à part entière de la famille et ça nous évite des préjugés et des arrière-pensées ».

C’est aussi accepter de porter ensemble le fardeau de la famille en toutes circonstances. Être fier du travail de chacun même quand il n’apporte pas beaucoup.

Papa Emile Habamungu : « Je suis fier de ma famille devant laquelle je me sens responsable, car nous supportons mutuellement les difficultés d’ordre vital devant lesquelles nous faisons face au quotidien. Nous ne nous pointons pas le doigt pour dire par exemple que si on passe la nuit ventre creux, c’est tel ou tel qui en est le responsable. Chacun supporte. Je suis fier de ma femme qui accepte que je me lève très tôt le matin et passe le maximum de mon temps journalier à la borne fontaine paroissiale même si la petite somme gagnée en termes de salaire ne couvre même pas notre besoin en nourriture pour une semaine. »

Louise Mulamba (familles solidaires) : « Aujourd’hui la fierté est une réalité dans ma famille. Avant je me battais dans la vie, mais pas avec beaucoup de précision et de détermination comme c’est le cas actuellement…Avant j’avais du mal à m’exprimer devant les gens, aujourd’hui je partage mes idées avec d’autres personnes. Je trouve des personnes qui viennent me demander mon point de vue pour l’une ou l’autre question qui surgit au sein de la famille ou de la communauté. Le fait d’asseoir un dialogue permanent entre mes enfants et moi en nous fixant les yeux dans les yeux, ça nous a tous permis d’avancer et de grandir petit à petit ensemble dans notre manière commune d’aborder, de comprendre et de gérer différentes questions, défis, espoirs et décisions vécus au niveau familial et de cimenter la fierté qui loge dans nos cœurs. Je suis fière de cela.»

Ces témoignages m’ont rappelé une image d’il y a 27 ans, quand j’avais encore six ans. Un enfant passait dans mon quartier avec des habits déchirés. Des passants se sont moqués de ses parents mais il s’en moquait. Une semaine après je lui ai demandé s’il n’était pas dérangé et il m’avait répondu : « Maman m’a dit qu’on doit être fier de ce qu’on reçoit de ses parents ».

Herman, Louise et Émile m’ont fait comprendre ce secret des familles pauvres. Chacun porte en lui le secret de la fierté de sa famille. Chacun sait mieux que quiconque ce qu’il y a de plus difficile dans sa vie et ce qui fait qu’il en soit fier malgré tout. Et aujourd’hui quand j’y repense je me dis : dans ces culottes déchirées des enfants que je rencontre dans mon quartier, il y a la sueur de leurs parents qui ont travaillé durant toute la journée pendant des jours pour les acheter. La fierté des familles en situation d’extrême pauvreté a ses mystères et ses secrets. Il faut du courage, de la sagesse, de la persévérance et de la patience pour arriver à les percer.

11 réflexions au sujet de « La fierté des familles très pauvres… et ses mystères »

  1. Bonjour René et les autres !
    Merci pour ce très bel article qui me remet face à moi-même…
    Je voudrais juste indiquer que dans la version qu’on reçoit sur sa boîte mail – quand on est abonné – on ne peut pas lire le nom de celui qui écrit. Il a fallu que je vienne faire ce commentaire pour savoir que c’était toi, René.
    Peut on remédier à cela car c’est important que le lecteur sache qui a écrit.
    Bonne continuation à toutes et tous !
    Anne (Leguil-Duquesne)

  2. Chers tous bonjour, merci beaucoup pour vos commentaires. L’engagement avec les familles c’est toute une école. La plupart des gestes qu’elles posent, de ce qu’elles possèdent a une signification qu’on ne peut pas comprendre avec la précipitation. Anne que veux-tu dire par te remettre face à toi même ?

  3. Bonjour René,juste t’encourager pour le travail fait. Si chaque personne commence d’abord par aimer ce qu’elle a reçu de sa famille, peu importe la situation sociale, avant d’aimer ce qu’elle reçoit au reste du monde, chacun sera capable de se prendre en charge et de compter sur les autres après.

  4. Très pertinent ton article cher René. j’admire sa profondeur. j’aimerai à la longue que vos réflexions convergent vers des témoignages des familles qui ont tourné la page car la pauvreté c’est un état à combattre. il faut que nos familles pauvres s’engagent à renverser la tendance. Courage

    • Bonjour PAtient. C’est pour cela que le 17 Octobre, on célèbre chaque année la Journée mondiale du refus de la misère, où des citoyens, des responsables associatifs, politiques, etc… s’engagent aux cotés des plus pauvres pour combattre l’exclusion. ceux-ci ne peuvent le faire tout seuls, c’est toute la société qui doit changer son regard. Rejoignez-nous le 17 Octobre et je vous invite aussi à lire les 1001histoires de changement sur le site http://www.stoppauvrete.org où vous verrez des mobilisations réussies qui mettent fin à des situations d’exclusion ! La misère on peut la combattre, mais tous ensemble !

  5. Merci beaucoup Célestine, je suis touché de voir que cet article intéressé autant d’amis sur les réseaux sociaux, j’en déduis avec la conviction de quelqu’un que j’ai apprécié depuis mon enfance. Il disait que « les plus pauvres sont nos maîtres ».

  6. « les plus pauvres nos maitres » vraiment!
    il y a une grande richesse dans les familles qui vivent la précarité, et cette richesse c’est la solidarité.
    Celle ci leurs donne le sourire,l’espoir et le courage dans leurs luttes pour dire non a la pauvreté!
    et n si nous le mettons tous de l’avant alors tout le monde sera heureux.

  7. Dans nos familles pauvres, il y a des qualités nécessaires et très utiles pour notre vie. Nous y trouvons premièrement l’endurance.
    Deuxièmement, nous avons la persévérance qui ne cesse pas dans des moments difficiles.
    il y a pas de pauvres, seulement le manque pour murir ce que nous sommes et ce que nous avons dans nos mains.

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